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Réseaux sociaux : simples espaces de sociabilité ou redoutables canaux d’influences ?

Les réseaux sociaux doivent-ils être considérés comme des organes de presse à part entière ? Dans son dernier ouvrage (codirigé avec Virginie Martin, chercheuse et professeure de sciences politiques à Kedge Business School), Vertigineux réseaux : Enjeux éthiques, cliniques et politiques, Pierre-Antoine Chardel, chercheur et professeur de sciences sociales et d’éthique à Institut Mines-Télécom Business School (IMT-BS), se penche avec leurs coauteurs sur la question.

Grâce à la démocratisation d’Internet et des réseaux sociaux, la communication est devenue accessible à toute personne disposant d’un téléphone portable ou d’un ordinateur. Seulement, depuis quelques années, les plateformes les plus utilisées prennent une place de plus en plus importante dans la vie des usagers, et ce, dans tous ses aspects, de la politique à la consommation.

C’est dans ce cadre que Pierre-Antoine Chardel, Virginie Martin, et dix autres chercheurs se sont réunis pour interroger la responsabilité de ces plateformes envers leur public, mais aussi le rôle qu’elles jouent dans la société en tant qu’espaces de discussion et médias d’opinion.

Individualisation et post-vérité

Pour étudier l’impact des réseaux sociaux sur la société, il faut d’abord s’intéresser à leurs effets sur les usagers, les principaux concernés. Serge Tisseron observe, dans le troisième chapitre de l’ouvrage, que le « Moi », c’est-à-dire la personnalité que l’on expose à la réalité, prend une place de plus en plus importante sur les réseaux sociaux. Chacun se sert de ses spécificités pour se différencier des autres et ainsi nourrir sa propre histoire sur le net, c’est ce que Serge Tisseron appelle la subjectivation. Ce concept peut être appliqué dans les rapports entre les êtres, chacun prenant en compte l’opinion de l’autre ou se nourrissant de celle-ci pour se raconter, c’est l’intersubjectivité. Ces façons très personnelles d’interagir avec le monde sont largement favorisées par le fonctionnement des réseaux sociaux.

François Jost fait quant à lui remarquer que cet aspect très intime de la discussion sur les réseaux est provoqué par le fonctionnement algorithmique des plateformes mais aussi par le fait que le téléphone portable est un objet particulier. Il représente une extension physique du Moi de chacun en ce qu’il contient une grande partie, si ce n’est toutes nos informations personnelles (bancaires, identitaires, photos, vidéos, etc.). Les algorithmes, eux, nous alimentent chaque jour de contenus choisis en fonction de nos préférences sans s’inquiéter de la pluralité informationnelle.

De par ce rapport personnalisé aux réseaux sociaux, les utilisateurs sont rendus plus sensibles aux critiques, surtout négatives puisque ces dernières viennent toucher leur intimité. Les plateformes sont de fait des endroits privilégiés pour la propagation de la haine visant à nier l’autre. Cette haine banalisée sort des cas de xénophobie ou de racisme, par exemple. François Jost l’appelle la « petite haine ». Elle repose souvent sur l’esprit communautaire et est exprimée à l’encontre des personnes ne faisant pas partie du groupe ou ne partageant pas les mêmes passions que soi. Sa manifestation est grandement facilitée par l’anonymat des usagers et donc par la déresponsabilisation de ces derniers, ce qui leur permet de dire ou faire ce qu’ils souhaitent sans faire face aux conséquences.

L’ère du Moi sur les réseaux

Cette omniprésence du Moi sur les réseaux sociaux et dans la société vient alors complètement redéfinir ce que l’on appelle la « vie privée ». Désormais, ce terme ne désigne plus la vie hors du cadre du monde humain puisque l’intimité se retrouve exposée aux yeux de tous. Avec cette surexposition de l’intimité, la notion de « commun » se retrouve mise à mal, la vérité perd peu à peu sa valeur universelle. Elle devient fragmentaire, éparpillée, propre à chaque humain.

Ainsi, le vraisemblable prend plus de poids, devient plus crédible au détriment du fait, et cela atteint même la sphère politique qui, pour des visées électorales, s’adresse aux émotions plutôt que de se baser sur les faits. C’est ce qu’on appelle la post-vérité : les leaders politiques orientent les débats vers l’émotion à travers des éléments de langage forts en ignorant, consciemment ou non, le fait véritable. Comme le souligne Mazarine M. Pingeot dans son chapitre, le véritable danger n’est pas le mensonge en lui-même mais plutôt l’indifférence généralisée face à ce phénomène.

Réseaux sociaux : médias d’opinion ?

Les réseaux sociaux ne sont pas que des moyens de se raconter ou de se mettre en scène. Ils peuvent être un lieu où la solidarité et l’entraide s’expriment. Dans leur chapitre, Pierre-Antoine Chardel et Jessica Yi Yan Wong proposent une étude de ces plateformes en tant que réseaux de contestation ayant une influence sur la réalité physique.

En effet, si ces outils de communication sont avant tout des espaces communautaires et inclusifs qui rassemblent autour de passions ou de causes communes, ils servent aussi à créer des dynamiques d’action au sein des espaces publics. Dans les cas de mouvements de contestation politique, ces plateformes peuvent même contribuer à rassembler énormément de monde dans les rues (comme ce fut le cas en Tunisie en 2011, ou à Hong-Kong en 2019). 

Ces faits soulignent l’importance que ces outils jouent dans certains mouvements de libération ou de contestation, mais cela suppose toujours des sujets politiques capables de s’approprier de manière suffisamment habile et inventive les technologies elles-mêmes.

Quand les plateformes deviennent juges

Mais au-delà de ces enjeux de contestation politique, se pose la question de la modération des plateformes devant intervenir pour tenter de limiter au maximum les contenus illicites (insultes, menaces, fake news, etc.). Neil Seghier, dans le dixième chapitre de l’ouvrage, s’est en l’occurrence intéressé à la modération de Facebook. Cette dernière est simple à comprendre et donne deux réactions possibles pour le modérateur : la suppression immédiate du contenu problématique ou la tolérance. La définition de ce qu’est un contenu, licite ou non, est souvent sujette à interprétation, surtout lorsque le contexte géopolitique intervient dans le processus de décision. C’est en effet le cas avec le traitement de la guerre russo-ukrainienne, sujet pour lequel Facebook a décidé de laisser en ligne des contenus violents ou agressifs envers la Russie.

Ce choix est purement subjectif ; c’est une personne qui décide du caractère licite d’une publication et qui choisit de laisser ou non le post. De ce fait, il est nécessaire de nous sensibiliser au fait que la modération des contenus est un acte humain, de repenser notre façon d’appréhender les réseaux sociaux et de ne plus les considérer comme de simples hébergeurs de contenus mais comme des organes de presse, d’opinion, ayant une influence sur la construction politique de leurs usagers. Enfin, et surtout, il faut interroger la capacité de sociétés étrangères à décider de ce qui est dicible, surtout au sujet de situations géopolitiques instables. Au vu de la place qu’elles ont sur les réseaux sociaux et dans les médias, il est primordial de resituer les enjeux éthiques de la fonction de modérateur, bien souvent invisible.