Les marketplaces (les places de marché en ligne) font fureur en France : plus de visibilité et plus d’opportunités à moindre frais. Toutefois le droit des Marketplaces pose problème. Les contraintes juridiques sont pléthoriques. Or elles sont trop souvent mal connues, voire totalement ignorées. Un risque commercial réel.
Romain Gola, Maître de conférences HDR, enseignant en droit des affaires et du e-commerce à l’Institut Mines-Télécom Business School et chercheur associé au LID2MS à l’Université d’Aix-Marseille, étudie les risques juridiques encourus lorsqu’on crée une marketplace et analyse les défis à venir alors que les lois se multiplient en France et en Europe. Voici ce qu’il faut en retenir.
Le marché juteux mais très réglementé des marketplaces
Une marketplace est une plateforme de mise en relation et de transactions entre vendeurs et acheteurs. Elle offre aux deux parties une expérience utilisateurs augmentée. L’opérateur ou éditeur de la plateforme propose aux acheteurs un éventail de produits et services élargis généralement gratuitement. Il propose aux vendeurs une palette mutualisée d’outils techniques, financiers et marketing contre une commission ou un abonnement.
Ce modèle gagnant-gagnant explique son succès planétaire. Au quatrième trimestre 2020, les marketplaces ont ainsi enregistré une croissance de 81% d’une année sur l’autre. C’est deux fois plus que le secteur du commerce en ligne. En France, le nombre de marketplaces (hors ventes de services et loisirs) a doublé entre 2020 et 2021. Le confinement de la pandémie a largement contribué à ce dynamisme.
Les marketplaces peuvent être généralistes ou spécialisées (par secteur d’activité, par géographie). On y trouve des transactions de toute nature : du C2C au B2B en passant par le B2C. Certaines plateformes y cumulent les typologies de transaction. Ceci entraîne de potentielles confusions désormais prises en compte par le droit. Hélas, les places de marché numériques ne sont pas toutes conformes à la réglementation.
Le droit des marketplaces: quelles sont les règles?
Notons que les sites spécialisés conseillent ardemment de mener une étude de marché, une analyse financière et un audit technique avant de s’engager dans la création d’une marketplace ou d’en rejoindre une. Toutefois trop peu insistent sur les règles de droit qui encadrent le fonctionnement des places de marché numériques. Il est pourtant impératif que les entreprises se conforment rigoureusement aux réglementations en vigueur.
De la protection des données à la conformité fiscale, en passant par la propriété intellectuelle et la publicité en ligne, la conformité légale est un pilier essentiel. Elle garantit la confiance des consommateurs. Elle renforce la réputation de sa marque. Elle évite des litiges coûteux. Quelles sont donc les règles à connaître ?
Les conditions générales
Il est important de comprendre que les relations dans ce ménage à trois ne sont pas identiques. Les engagements de l’éditeur de la plateforme vis-à-vis des vendeurs et des acheteurs sont bien distincts. Il convient donc de rédiger des conditions générales différentiées pour ces deux publics. Un oubli fréquent et dommageable sur les marketplaces.
Selon le règlement « Platform to business » (P2B), la marketplace doit rédiger des conditions générales de services (CGS) pour ses partenaires. Elle y précise les règles d’utilisation de sa plateforme. Description, accès et prix du service, modalités de suspension, modification ou résiliation du service. Elle doit également indiquer les principaux paramètres qu’elle utilise pour référencer les biens et services pour que le vendeur développe une stratégie adéquate.
En outre, les vendeurs doivent pouvoir, eux aussi, afficher leurs propres conditions générales de vente (CGV) et leurs mentions légales à l’attention de leurs acheteurs potentiels. Il s’agit en effet pour eux d’apporter des informations détaillées sur le produit ou service vendu. Caractéristiques, prix, délai de livraison, modalités du droit de rétractation.
Clairement, la marketplace doit donc prévoir des pages bien différentiées pour que chaque partie puisse correctement se renseigner.
Le droit des marketplaces. Un engagement à une information loyale, claire et transparente
Pour protéger les consommateurs, trois décrets contraignent l’opérateur de la plateforme à publier les conditions générales d’utilisation (CGU). Ces CGU décrivent comment les contenus sont référencés ou retirés et comment ils sont classés. Les CGU précisent la nature de la relation qui lie l’opérateur au vendeur.
En effet, le consommateur est en droit de savoir si l’achat d’espace publicitaire sur la marketplace a un éventuel lien capitalistique entre le vendeur et l’éditeur de la plateforme (actionnaire, investisseur). Ou encore si l’utilisation d’algorithmes a influencé la visibilité des offres du vendeur sur le site.
Le Parlement européen surenchérit avec le Digital Services Act. Celui-ci encadre en effet les marketplaces pour protéger les internautes européens contre les contenus illicites, dangereux et préjudiciables. Le Digital Service Act leur interdit de mieux référencer leurs propres produits et services. Il les contraint aussi à révéler comment sont utilisées les données générées.
Dans ce souci de transparence, la place de marché numérique doit clairement énoncer les règles de publication et de modération des avis laissés par les internautes.
En outre, toute plateforme dont la fréquentation dépasse 5 millions de visiteurs uniques par mois doit se doter d’une Charte qui décrit ses bonnes pratiques de transparence.
Enfin, la directive « Omnibus » adoptée en 2022 durcit encore davantage ces règles de transparence. D’une part, sur l’affichage non équivoque de réduction de prix par exemple. D’autre part sur la mise à disposition d’un formulaire pour valider le souhait du consommateur de renoncer explicitement à son droit de rétractation. Tout manquement pourra être sanctionné jusqu’à 2 ans de prison et 300 000 euro d’amende. Cela mérite qu’on s’y attarde.
Le droit des marketplaces. Des responsabilités environnementales et sociétales
Avec la prise de conscience générale autour du développement durable, plusieurs lois responsabilisent désormais les marketplaces. Par exemple,
– Chaque opérateur doit s’acquitter de l’éco-contribution (à moins que ses vendeurs ne l’aient déjà versée),
– L’éditeur de plateforme s’engage à référencer des vendeurs qui ont adopté une économie circulaire
– Toute place de marché numérique encourage le transport propre et moins coûteux des marchandises référencées sur son site
– La plateforme en ligne doit informer ses utilisateurs des obligations fiscales et sociales qui leur incombent.
En complément de ces mesures coercitives, l’Etat prépare un label pour les marketplaces vertueuses. De quoi motiver les plus rétives à prendre le train en marche, car il faut bien l’admettre, peu d’opérateurs aujourd’hui peuvent se targuer de répondre à tous ces critères.
Qui les en blâmerait ? Les règles s’empilent. Elles accablent d’une part l’opérateur de contraintes redondantes. Elles brouillent d’autre part encore plus le message. Ceci alors que l’acheteur peine à comprendre auprès de qui il effectue sa transaction.
Le droit des marketplaces: quels défis dans ce labyrinthe juridique?
On comprend donc qu’une marketplace ne peut pas se permettre d’ignorer la loi, toute illisible puisse-t-elle paraitre. Non seulement pour des raisons évidentes de conformité, mais également pour veiller à sa réputation.
Le droit des marketplaces. Elles sont responsables devant la loi
Les places de marché ont convaincu par la manne financière qu’elles génèrent. Mais elles ont également séduit par leur capacité à collecter et traiter les données personnelles des utilisateurs dont la valeur marchande n’est plus à discuter. Pour éviter les abus, ces données sont protégées par le règlement européen RGPD.
L’opérateur doit rédiger une politique de confidentialité intelligible pour l’acheteur. Celui-ci doit en effet comprendre ce qui est fait de ses données personnelles. Il doit consentir à ce que ses informations soient partagées avec le vendeur et ou le partenaire. Ce sont par exemple des données de paiement ou de logistique. L’opérateur doit par conséquent coordonner tous les acteurs engagés sur sa plateforme. Vendeurs, acheteurs, mais aussi les prestataires de services de paiement, de régie publicitaire ou de livraison.
Ne laissons aucune place au doute. La marketplace est responsable devant la loi des modalités et des finalités du traitement des données. Avec toutes les obligations juridiques qui en découlent. Cela n’implique pas pour autant un désengagement des fournisseurs devant la loi. Il s’agit bien de distinguer les responsabilités de chacune des parties, de les décrire et de s’y conformer ! Ceci est en particulier la fonction des CGU.
Le droit des marketplaces. Confidentialité des données, sécurité et éthique
Qui dit traitement des données dit référencement, classement. Et donc valorisation. Laquelle est susceptible d’orienter les comportements de consommation. C’est tout l’enjeu de l’utilisation des algorithmes sur les plateformes numériques. La loi n’est aucunement disposée à céder quoique ce soit sur ce point.
L’article 22 du RGPD défend le droit des consommateurs de ne « pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage ». C’est un droit inaliénable du consommateur. C’est un droit qui dégrade une des valeurs ajoutées de la marketplace.
Notons tout de même que la transparence en la matière n’est pas chose aisée. Car l’opérateur peut défendre la protection du secret industriel. Et le législateur n’aura pas toujours les compétences requises pour décrypter des algorithmes toujours plus élaborés et complexes.
A minima, conformément au Digital Services Act, les très grandes plateformes s’attachent à fournir une analyse d’impact de l’utilisation de leur services. Il s’agit notamment de modération et de recommandations, de sélection des offres et d’affichage des publicités. Ceci doit permettre de mesurer les risques de soumission.
Enfin, la question des biais (de genre, culturel, etc.) que drainent les algorithmes prend de l’ampleur. Elle ne pourra plus être ignorée des opérateurs. Si le Digital Services Act n’a que peu de prises sur les règles d’éthique appliquées dans la conception des algorithmes, en revanche l’opinion publique est aux aguets.
De nombreuses associations comme Impact AI militent depuis plusieurs années déjà auprès des entreprises et des institutions pour défendre une intelligence artificielle responsable et éthique. Il faudra s’attendre à recevoir prochainement de la part de la Commission Européenne, un nouveau règlement consacré à l’utilisation de l’IA.
Le droit des marketplaces: une corégulation au secours du législateur
Il n’est décidément pas facile de se repérer dans ce dédale de règles, ni pour les opérateurs ni pour le législateur. Pour proposer une réglementation adaptée, il faut prendre en compte de multiples paramètres. Les technologies, les règles commerciales, les comportements des usagers, et bien sûr la loi de l’Etat.
A l’instar des Etats-Unis dans les années quatre-vingt-dix, la France et l’Union Européenne plaident en faveur d’une corégulation. Celle-ci associe en amont l’ensemble des acteurs pour réglementer un marché en fort développement et en constante évolution, et pour veiller au respect des règles de droit. Ce sera certainement la ligne de conduite suivie pour finaliser le label prévu pour les places de marché en ligne vertueuses.
Créer ou rejoindre une marketplace : une gageure ?
Ne voyons pas la conformité comme une seule nécessité mais également comme une opportunité pour se démarquer des concurrents. Suivre ces codes de bonne conduite à l’égard des consommateurs attachés au respect de leur données personnelles, de leur identité culturelle, de leur libre arbitre, montre un engagement louable favorable à la réputation de l’entreprise.
En adoptant une approche proactive sur ces règles de droit, certes prolixes et hautement contraignantes, les entreprises préviennent les risques d’amendes non négligeables. Et surtout elles se hissent surtout au rang des entreprises durables sur le marché numérique. Un atout qui fera tôt ou tard la différence !
Cet article vous a intéressé ? Découvrez l’étude complète de Romain Gola, dans la revue Lamy Droit de l’immatériel (Année : 2022).
Vous pouvez également suivre les publications de l’enseignant-chercheur Romain Gola sur le site de l’Institut Mines-Télécom Business School : Recherche – Institut Mines-Télécom Business School (hal.science)
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