Dans un article paru le 15 mars dans l’European Journal of Physiology, Olivia Chevalier et Gérard Dubey, respectivement chargée de recherche et professeur en sociologie à Institut Mines-Télécom Business School, présentent une étude de la littérature traitant de la contribution de l’IA dans les blocs opératoires.
L’article analyse l’impact de l’IA sur les trois phases de la chirurgie : les périodes préopératoire, peropératoire et postopératoire. Les chercheurs examinent les preuves empiriques de l’utilité clinique de l’IA dans les salles d’opération, ainsi que les questions éthiques qu’elle soulève.
Des chirurgiens divisés sur l’IA dans le bloc opératoire
L’équipe de recherche a classé les chirurgiens ayant participé à l’enquête dans trois catégories : les enthousiastes, les sceptiques et les prudents. Les premiers sont prêts à intégrer pleinement l’intelligence artificielle dans leur pratique médicale. Ils estiment que cet outil dépasse largement leurs attentes compte tenu des applications actuelles. Les seconds reconnaissent les avancées théoriques de l’IA dans les blocs opératoires, mais s’inquiètent des modalités pratiques, notamment en ce qui concerne les tâches les plus complexes. Le troisième groupe, les prudents, reconnaît les limites actuelles de l’IA. Cependant, ils restent optimistes et considèrent ces limites comme des obstacles que les innovations futures permettront de surmonter.
L’article met en évidence cette division au sein du corps médical en citant quelques chiffres. Ces chiffres proviennent d’une précédente étude menée par l’Association allemande de chirurgie. Selon cette étude, 85 % des chirurgiens interrogés estiment que l’IA aura un impact positif sur leur domaine d’expertise. Cependant, seuls 33 % d’entre eux envisagent que l’IA joue un rôle central dans le bloc opératoire. Cela démontre un intérêt certain pour cette technologie. Cependant, la majorité d’entre eux (82 %) sont encore réticents à l’idée de l’intégrer dans les pratiques hospitalières. Cette étude souligne la nécessité d’une analyse plus approfondie des perspectives des praticiens et des effets réels de l’intégration de l’IA dans les hôpitaux.
Revue systématique de la littérature : la méthode PRISMA
Les chercheurs ont utilisé la méthode PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-Analyses) pour rédiger cet article. Cette méthode garantit la transparence et l’exhaustivité des documents étudiés. Les chercheurs se sont concentrés sur les bases de données PubMed, Scopus et IEEE Xplore entre 2010 et 2023. Les mots-clés suivants ont été utilisés pour affiner l’échantillon : « Artificial Intelligence », « Machine Learning », « Deep Learning », « Surgical Procedures », « Operative » et « Clinical Decision-Making ». Ils ont également utilisé la méthode PICO pour définir les critères d’inclusions et d’exclusions des données. Ils se sont donc concentrés sur :
- La population : les patients suivant des procédures chirurgicales peu importe le domaine
- L’intervention : les technologies IA (incluant le machine learning, le deep learning et les assistants robotiques) implémentées dans les soins pré, intra et post opératoires
- La comparaison : par rapport aux méthodes classiques de chirurgie, sans assistance IA
- Les conséquences (Outcome en anglais) : les évolutions des conséquences cliniques comme les taux de complications, les indicateurs d’efficacité, les performances des chirurgiens et la sécurité du patient.
Résultats et limites de l’IA
Cette compilation de travaux permet de prendre en compte les points de vue des chirurgiens sur l’utilisation de l’intelligence artificielle dans leur pratique. La diversité des points de vue présentés permet d’envisager des recherches futures et des orientations politiques pour faciliter l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) dans les salles d’opération. Par exemple, les sceptiques pourraient avoir besoin de preuves empiriques issues d’essais cliniques pour valider les avantages de l’IA dans ce contexte. À l’inverse, les partisans pourraient avoir besoin d’une formation spécifique pour mieux comprendre l’IA. Cela permettra de garantir une utilisation correcte de l’outil et d’éviter toute surestimation.
Cependant, l’outil n’est pas exempt de défauts. L’intelligence artificielle, par exemple, n’est pas capable de gérer les anomalies qui peuvent survenir au cours d’une opération. En effet, le corps humain est un organisme complexe et souvent imprévisible. Il ne peut être appréhendé à l’aide d’échelles déterministes. Si l’on veut que l’IA joue un rôle plus important dans le bloc opératoire, il faut réduire au maximum son temps de réponse pour ne pas entraver les opérations qui requièrent de la rapidité. Un cadre juridique et éthique doit également être établi pour définir les utilisations appropriées de l’intelligence artificielle. Cela permettra à terme d’intégrer efficacement et en toute sécurité l’IA dans les blocs opératoires du monde entier.